Législation européenne : les critiques d’inflation normative face à la réalité des données

La Commission européenne vient de présenter son programme de travail 2025, un document clé puisqu’ elle seule est habilitée à proposer de nouvelles législations. Cette annonce intervient dans un contexte de préoccupations croissantes concernant la production législative européenne, tant au sein des institutions politiques que parmi le grand public. Le constat est sans appel : la Commission européenne est à l’arrêt.

Selon le dernier rapport Draghi, l’Union européenne a adopté 13 000 actes entre 2019 et 2024. Qu’en est-il vraiment ? Ces chiffres sont-ils révélateurs d’une situation hors de contrôle ?

Livrons-nous à un exercice trop souvent négligé : l’analyse des données disponibles et notamment d’Eur-lex, la base officielle de l’office des publications de l’Union européenne.

Sans l’impact de la guerre en Ukraine et de la crise du Covid-19, la production normative serait restée stable.

 

Sous la présidence d’Ursula von der Leyen,  11 913 actes à portée normative ont été publiés au Journal officiel de l’Union européenne, soit 550 de plus que sous la Commission précédente.

Comparons sur une année : en 2023 par exemple, la France publiait 8 614 actes législatifs et réglementaires au Journal officiel quand l’Union européenne en publiait 2 367.

Entre 2020 et 2024, la guerre en Ukraine et la crise du Covid-19 ont fortement influencé la production législative européenne par l’adoption d’environ 470 textes, soit 80 % de l’augmentation totale sur la période.

Moins de 3 000 actes législatifs ont été adoptés sous la première Commission von der Leyen

Sur les 11 913 actes publiés entre 2020 et 2024, seuls 2 712 ont une portée législative, c’est-à-dire qu’ils sont adoptés selon une procédure législative et dans les domaines de compétence explicitement prévus par les traités.  

Plus de 80 % correspondent à des décisions et des règlements du Conseil, principalement liés à  la politique étrangère et aux accords internationaux et d’effets limités. 

L’Union européenne adopte en moyenne 82 actes législatifs chaque année, contre une centaine de lois et ordonnances en France

409 règlements et directives ont été adoptés selon la procédure législative ordinaire entre 2020 et 2024 parmi lesquels 31 concernaient le Covid et 62 l’Ukraine, un niveau bien inférieur aux  377 textes adoptés sous la Commission Juncker.

Poursuivons l’analyse : seulement 227 parmi les 409 actes sont de nouvelles initiatives, tandis que les autres constituent des modifications de législations existantes. Conformément au guide officiel des pratiques législatives européennes, ces derniers sont des actes ne devant pas introduire de dispositions matérielles autonomes par rapport à l’acte initial.

Quand les textes non législatifs créent la perception d’un cadre législatif hors de contrôle

La  vaste majorité des actes publiés – 9 2011 sur 11 913 – relèvent du domaine non législatif.  Les premiers d’entre eux sont les 5 223 actes d’exécution et 873 actes délégués en augmentation de 9% par rapport à la Commission Juncker, qui par leur volume et leur portée, perçue parfois comme quasi-législative, suscitent des inquiétudes.

Ces actes réglementaires sont adoptés par la Commission seule dans le cadre de pouvoirs qui lui sont conférés par le législateur dans l’acte d’origine. Ils sont soumis au contrôle du Conseil et du Parlement européen. 

Depuis 2010, les actes délégués autorisent la Commission à modifier ou à ajouter des éléments non essentiels aux textes existants. Cette innovation introduite par le traité de Lisbonne connaît une réelle expansion, avec une augmentation de 39 % entre les deux mandats de la Commission.

La longueur des propositions législatives reste stable 

 

Le nombre de mots des propositions de règlements et directives  légère augmentation – passant en moyenne de 17 430 mots pour les directives entre 2017 et 2024  à 19 540 en moyenne entre 2020 et 2024 et de 18 240 à 20 655 mots pour les règlements.

Cette hausse est liée à un nombre limité de textes volumineux liés à des révisions globales de législation existante ou des codifications. À l’inverse, le nombre de mots des actes d’exécution et délégués suivent une tendance à la baisse. Les règlements d’exécution qui en représentent le contingent le plus significatif contiennent en moyenne 2 700 mots.

La seconde Commission von der Leyen s’astreint à un démarrage frugal 

Bien que la stratégie « One In, One Out » lancée en 2019 n’y soit pas explicitement mentionnée, le plan de travail 2025 est en fort recul par rapport à celui de 2020. Le nombre d’initiatives nouvelles chutent de 97 à 54. Cette baisse est encore plus significative concernant les mesures législatives nouvelles, hors simplification, qui passent de 27 à 12.

La frontière entre simplification et dérégulation est mince et à l’heure où certains, à l’image d’Elon Musk aux États-Unis, prônent une dérégulation, les données invitent à la prudence. Une approche basée sur des outils performants d’analyse, notamment grâce à l’open data et à l’intelligence artificielle est aujourd’hui un réflexe indispensable.

 

Retrouvez notre article paru dans les Echos 

 

Retour en haut