L’art de la perspective

L'art de la perspective

La Commission européenne aurait adopté discrètement une nouvelle directive fiscale qui mettrait en péril le marché de l’art en France. C’est ce qu’affirme en tout cas un récent article des Echos suscitant désarroi et  colère  des professionnels du secteur de l’art. L’issue « serait fatale pour le marché de l’art du pays », aurait même avancé  le fondateur de la galerie Thaddaeus Ropac lui-même. 

Et pour nous un cas d’école presque parfait pour identifier ce qui s’est véritablement passé et quels sont les enjeux ?

Bien qu’adoptée il y a près d’un an, cette directive était passée inaperçue jusqu’aux articles dénonçant une décision imposée par Bruxelles et prise sans consultation. L’émotion exprimée n’a de rival que l’obscurité et la complexité du sujet: les règles de TVA européennes et la fiscalité de l’art…

Avant toute chose, il faut rappeler ici la clé de de compréhension du sujet: le vote à l’unanimité est requis pour toute la législation fiscale européenne. Ce facteur est central car il explique les difficultés à abolir les dérogations dont bénéficient certains États membres mais surtout l’orientation finale retenue dans la nouvelle directive TVA qui consiste en réalité à étendre, plutôt qu’à restreindre, la marge de manœuvre des États membres.

Mais alors que s’est-il vraiment passé ? Rapide rappel historique. 

La directive TVA adoptée en 1992 prévoit un taux de TVA standard fixé à un minimum de 15 %, la possibilité d’appliquer au maximum deux taux réduits dont le plus bas devait être égal ou supérieur à 5 % aux biens et services énumérés à l’annexe III de la directive, ce que la France utilisait pour les ventes d’œuvres d’art et plus de 200 dérogations qui permettaient à certains États membres-d’appliquer un taux réduit (y compris des taux zéro) à tous produits énumérés ou non à l’annexe III.

Ces dérogations temporaires devaient expirer au plus tard avec le système définitif de TVA

Depuis 2012, L’Union annonce s’orienter vers un système de TVA basé sur la destination qui permet notamment un alignement beaucoup moins important des niveaux d’imposition et, par conséquent, des règles moins strictes en matière de taux de TVA. 

En 2016, un plan d’action TVA est rendu public. Il propose de finaliser un  système de TVA fondé sur la destination tout en conservant aux États membres une grande souplesse dans la fixation des taux. Une des options à l’étude est la suppression pure et simple d’une liste limitative des biens et services pouvant bénéficier de dérogations.

Le 18 janvier 2018, la Commission présente une proposition de directive en ce sens.

Le 7 décembre 2021, le Conseil de l’Union européenne parvient à un accord politique ouvrant la voie à son adoption en avril 2022. La nouvelle directive supprime notamment la liste des biens et des services pouvant faire l’objet des taux réduits de TVA (annexe III de l’ancienne directive TVA) et la remplace par une nouvelle liste négative de produits (annexe III bis) auxquels le taux normal de 15 % ou un taux supérieur serait toujours appliqué. Elle permet aux États membres d’utiliser des taux de TVA réduits et d’introduire un nouveau taux inférieur à 5 % à la condition de conserver un taux de TVA effectif minimum de 12 % pour une série de fournitures imposables.

Mais alors me direz-vous, comment peut-on sérieusement parler de surprise après 4 années de négociations,  6 ans après la publication du plan d’action ? Impossible en effet d’ignorer la révision annoncée du système de TVA. Impossible aussi d’avancer que la décision nous a été imposée quand son adoption a fait l’objet d’un vote à l’unanimité. Et pourtant la surprise des professionnels n’est pas feinte et la directive définitivement adoptée. 

Sur le fond cette nouvelle directive n’offre-t-elle finalement pas plus de flexibilité qu’avant ? 

Oui et non en l’espèce.

En France, le régime de  TVA appliqué aux galeries est très spécifique. Il repose sur des taux dérogatoires et le régime dit de la marge. Ce dernier permet d’éviter qu’une œuvre d’art qui a déjà été soumise à TVA lors de l’achat initial, soit de nouveau taxée lors de sa réintroduction dans le circuit commercial. 

La nouvelle directive  va empêcher le secteur de cumuler un taux réduit de TVA à 5,5% à l’achat d’une œuvre et la TVA sur la marge. Deux options sont dès lors envisageables. Soit étendre le taux réduit de 5,5% à l’ensemble des transactions, solution très favorable pour les galeries d’art mais très coûteuse pour les finances publiques. Soit maintenir le taux de TVA sur la marge de 20% à la revente mais supprimer le taux de 5,5% à l’acquisition, option plus économe pour le contribuable mais moins bien vue par les galeries.

Une vraie question de perspective vous dit-on.

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